27 janvier
Que l’abbé haïsse les vices, mais
qu’il aime les frères.
(Règle de Saint Benoît 64,11)
RB
7,10-18 (L'humilité)
¹⁰Voici donc le premier degré d'humilité: se remettant toujours devant
les yeux la crainte de Dieu, il consiste à fuir toute négligence et à se
rappeler sans cesse tout ce que Dieu a commandé. ¹¹On repassera constamment
dans son esprit, d'une part, comment la géhenne brûle, pour leurs péchés, ceux
qui méprisent Dieu, et comment, d'autre part, la vie éternelle récompense ceux
qui le craignent. ¹²Se gardant, à toute heure, des péchés et des vices des
pensées, de la langue, des mains et de la volonté propre, ainsi que des désirs
de la chair, ¹³l'homme estimera que Dieu, du haut du ciel, le regarde à tout
moment, qu'en tout lieu le regard de la divinité voit ses actes et que les
anges les lui rapportent à tout moment. ¹⁴Le Prophète nous le révèle, lorsqu’il
affirme que Dieu est toujours présent à nos pensées: « Dieu scrute les cœurs
et les reins »; ¹⁵et de même: « Le Seigneur connaît les pensées des
hommes », ¹⁶et encore: « Tu as compris de loin mes pensées », ¹⁷et: « La pensée de l'homme te sera découverte. » ¹⁸Aussi, pour
être vigilant sur ses pensées perverses, le vrai moine répètera toujours dans
son cœur: « Je serai sans tache devant lui, si je me tiens en garde contre
mon iniquité. »
❈❈❈
... pour chaque jour
La « Crainte de Dieu »
est une vertu hautement considérée dans la tradition judéo-chrétienne. En
vérité c’est un socle sur lequel les autres vertus peuvent s’appuyer. « La
Crainte de Dieu est le début de la sagesse », répète souvent la Bible.
L’on dit également : « Seul un sot méprise la sagesse. » Mais
que veut dire la Bible par « Crainte de Dieu » et y a-t-il quelque
chose dans ce terme qui puisse nous « procurer la peur de notre
vie » ?
Je n’ignore pas que
« procurer à quelqu’un la peur de sa vie » n’est qu’une expression,
mais je veux la ramener à ses racines, la prendre un peu plus littéralement
qu’une remarque en passant. La plupart des bonnes expressions qui sont entrées
dans la langue portent en elles une signification à laquelle nous ne faisons
presque plus référence. C’est le cas ici. Et le fait est qu’il y a de
« l’enfer » en chacun de nous qui ne s’en va pas très facilement. Il
est nécessaire de faire appel à quelque chose de puissant pour que
« l’enfer en nous » ait tellement peur qu’il s’en aille. Dans la
Bible, la Crainte de Dieu est susceptible d’agir de la sorte.
Mais qu’est-ce que cela veut
dire ? Ce n’est pas aussi simple que d’avoir peur de Dieu. La sagesse
biblique n’est pas aussi naïve. Littéralement cela signifie que nous prenons la
mesure de la différence entre Dieu et nous-mêmes. Il est grand, et nous sommes
petits. Il est vivant pour l’éternité et nos vies sont comme une fleur qui
s’épanouit le matin mais qui est fanée le soir. Il semble y avoir une bonne
part « d’enfer » en nous ; en lui il n’y en a pas. Prendre en
compte ces différences ne vise pas à nous donner une image maladivement
négative de nous-mêmes. Cela nous aide seulement à en éviter une maladivement
positive, qui n’est pas basée sur la réalité. Acquérir de la sagesse – et dans
la Bible cela revient à vivre harmonieusement dans la réalité comme elle est –
commence par notre capacité à prendre la mesure de la différence entre Dieu et
nous. Cette démarche peut certainement causer une certaine dose de crainte de
Dieu ; mais plus que cela, ce qu’elle suscite est l’accroissement dans
notre cœur d’une crainte respectueuse de Dieu. Car il est merveilleux qu’en
dépit des distances infinies entre lui et nous, nous demeurions les objets de
sa sollicitude, les bénéficiaires de son amour.
Donc par la prière je me trouve
en contact avec le Seigneur de l’Univers. Il se rapproche de moi, de son plein
gré. Il me révèle un peu de sa « vision » et de son
« amour ». Et je suis complètement fasciné, car sans cesse je ressens
à la fois son écrasante infinité, qui suscite la crainte et sa douce et aimable
proximité qui suscite la sagesse. Dieu se rapproche de nous au moyen de ce que
nous pourrions décrire comme un acte divin d’humilité. De sa position élevée il
s’abaisse, c’est ainsi que parlent les métaphores bibliques. Il y a une
proportion inverse entre l’humilité à laquelle Dieu a consenti pour notre bien
et sa capacité à être présent à nous dans son essence malgré notre condition
d’êtres limités et pécheurs.
Je sais que peu de gens
s’expriment et pensent encore de la sorte. Dieu est si humble qu’il ne nous
impose pas de le reconnaître. Mais en tout cas moi, je veux témoigner du fait
que la sagesse biblique m’aide à vivre. Entrer dans la proposition de la foi
biblique – selon laquelle il y a Quelqu’un de Divin près de nous plus grand et
bien plus digne que nous ne le sommes – me permet d’être en prise avec la
réalité à la place et avec le ton qui conviennent, moi qui ne suis ni Dieu, ni
responsable du monde et qui n’y suis que pour un temps. J’entre en scène
stupéfait et reconnaissant de me trouver présent tout simplement. Je veux me
prosterner en adoration devant celui à qui je dois ce cadeau. Je redoute
d’offenser sa majesté, sa bienveillance, sa vérité. Et je le redoute non pas
parce qu’il se retournera et m’écrasera mais parce qu’il est bon d’une bonté
que je ne pourrais jamais égaler, et je ne veux pas en abuser, la prendre à la
légère ou la considérer comme allant de soi.
Abuser de la vie, prendre Dieu à
la légère ou l’ignorer, me croire le centre du monde – c’est un peu de
« l’enfer » qui est en nous. Ce qui me terrifie vraiment est la
perspective d’un enfer éternel. Je sais, l’on ne croit plus à de telles
réalités. Mais il n’est pas aussi simple de décider qu’elles existent ou pas.
La seule possibilité qu’il y ait un enfer devrait nous terrifier. Car qu’est-ce
que l’enfer ? Non pas un Dieu vengeur qui nous punit pour l’éternité car
nous avons dérapé, mais plutôt d’être condamnés à vivre pour l’éternité en
fonction de nos choix. Comme il est facile de prétendre que nous ne serons pas
jugés sur nos agissements. Et pourtant, si tel est le cas ? – eh bien,
cette possibilité m’effraie.
(Jeremy Driscoll osb, L’Alphabet du Moine – Moments de silence
dans un monde qui change, Éd. Salvator, Paris, 2008, p.57-60)
* Initiale - Ms Abbaye de Maredret
1 commentaire:
Combien tout ceci est vrai depuis des siècles mais combien plus vrai encore en cette période moderne ! Merci de nous le rappeler
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