24 décembre
Ne
pas vouloir être appelé saint avant de l’être,
mais
le devenir d’abord,
alors
on le sera appelé avec plus de vérité.
(Règle
de Saint Benoît 4,62)
RB 66,1-8 (Les portiers du monastère)
¹À la porte du monastère on placera un sage vieillard, qui sache
recevoir et rendre un message, et dont la maturité le préserve de toute
oisiveté. ²Le portier devra avoir sa cellule près de la porte, afin que ceux
qui viennent trouvent toujours à qui parler. ³Et aussitôt qu'on aura frappé ou
qu'un pauvre aura appelé, il répondra Deo gratias ou Benedic. ⁴Puis, avec toute la mansuétude que donne la crainte de Dieu, il s'empressera de
donner réponse avec une charité fervente. ⁵Si le portier a besoin d'aide, on
lui donnera un frère plus jeune. ⁶Le monastère doit, autant que possible, être
disposé de telle sorte que l'on y trouve tout le nécessaire: de l'eau, un
moulin, un jardin et des ateliers pour qu'on puisse pratiquer les divers
métiers à l'intérieur de la clôture. ⁷De la sorte les moines n'auront pas
besoin de se disperser au-dehors, ce qui n'est pas du tout avantageux pour
leurs âmes. ⁸Et nous voulons que cette Règle soit lue souvent en communauté
afin qu'aucun frère ne s'excuse sous prétexte d'ignorance.
... pour chaque jour
J’aime, dans l’Orient chrétien, qui se soucie peu des modes, ce respect,
cette admiration du vieillard. Un homme engagé dans les voies de la vie
spirituelle est nommé, quel que soit son âge, un « beau vieillard »,
et la beauté, ici, ne se dissocie pas de la sagesse et de l’amour ; elle
monte du cœur. Regardez les moines de l’Athos ou de Moldavie, quand l’âge les
libère d’une réserve qui souvent nous semble affectée, mais constitue le cocon
de la chrysalide : les lèvres s’affinent et s’intériorisent, le front se
dilate et se nacre, la blancheur des cheveux et de la barbe témoigne d’une
transfiguration, les yeux retrouvent le grave étonnement de l’enfance, mais
avec quelque chose de mat, d’impassible, au-delà de toute passion et de toute
peur. La main, sa chair même, devient sèche, légère, pure, comme la main d’un
très jeune enfant.
(…)
Il m’a fallu connaître l’Orient chrétien (mais je sais maintenant que
l’Occident, dans ses monastères surtout, a ses orients secrets) pour rencontrer
à nouveau, cette fois dans la conscience de la résurrection, des vieillards
lumineux, dont la simple présence aide à vivre, à mourir, à se transformer par
la mort. Tel était le patriarche Athénagoras. Il avait plus de quatre-vingts
ans quand je l’ai connu. C’était un être de bénédiction, et les jeunes ne s’y
trompaient pas. Il avait une capacité enfantine de s’émerveiller : quand
il saluait, en février, le premier arbre qui fleurit dans le jardin du
patriarcat, quand il observait longuement l’écriture des oiseaux sur le ciel,
de la Marmara à la Corne d’Or ; ou celle des fourmis sur la terre. La
désappropriation du sage le rendait capable d’écouter, d’accueillir, de plonger
dans « l’océan intérieur d’un regard ». Il n’avait plus peur,
l’angoisse en lui s’était changée en confiance. Un don de prophétie lui était
venu. Il savait que, puisque le Christ est ressuscité, toute situation
historique, si tragique soit-elle, est une situation d’enfantement. Il savait
que l’angoisse de l’Occident constitue désormais le lieu où doit éclater
l’annonce, et l’exemple, de la résurrection, de la vie plus forte que la mort.
Quand le moment est venu, il savait qu’il allait mourir. Le métropolite
Méliton, son ami, lui parla d’un voyage à Vienne pour une intervention
chirurgicale. « Non, a-t-il répondu, c’est à un autre voyage que je dois
me préparer. » Après avoir reçu la communion, il a refusé toute
nourriture, il a remercié chacun puis demandé à rester seul. Il est mort ainsi,
ans seul à Seul où l’on n’est plus séparé de rien.
(…)
Dans l’Orient chrétien, le moine est celui qui veut entrer vivant dans
la mort pour devenir, dès ici-bas, un ressuscité. Parmi ceux qui marchaient
avec moi, en ce soir de mai, il m’a semblé qu’il y avait deux
« ressuscités » (nous le sommes tout, mais eux consciemment, d’une
conscience transformante), dont la mort ne serait pas une agonie, mais une
simple « dormition » : on passe de l’autre côté des choses et
l’on continue de servir l’amour. L’un des deux, puissant maître d’œuvre,
parlait plus volontiers. L’autre ne disait presque rien. Mais d’être près de
lui faisait fondre le cœur d’une douceur qui ne peut se dire.
(OLIVIER CLÉMENT, L’autre soleil – quelques notes
d’autobiographie spirituelle, Desclée de Brouwer, 2010, p.64-65.)
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