25 mai

Qu’il imite plutôt l’exemple de tendresse du bon Pasteur…
(Règle de Saint Benoît 27,8)



La Règle de Saint Benoît…

RB 6,1-8 (La retenue dans le langage)

¹Faisons ce que dit le prophète: « J'ai résolu de surveiller toutes mes voies, pour ne pas pécher par ma langue; j'ai placé une garde à ma bouche, je me suis tu et humilié, et je me suis abstenu même de parler de choses bonnes. » ²Le prophète nous montre par là que, si l'on doit quelquefois s'interdire de bons discours par amour du silence, à plus forte raison faut-il retrancher les paroles mauvaises pour éviter la peine due au péché. ³C'est pourquoi, étant donnée l'importance du silence, on n'accordera que rarement aux disciples, fussent-ils parfaits, la permission de parler même de choses bonnes, saintes et édifiantes. ⁴Il est écrit, en effet: « Tu n'éviteras pas le péché en parlant beaucoup » ; ⁵et ailleurs: « La mort et la vie sont au pouvoir de la langue. » ⁶De fait, s'il appartient au maître de parler et d'enseigner, il convient au disciple de se taire et d'écouter. ⁷En conséquence, s'il faut demander quelque chose au supérieur, on le fera en toute humilité, soumission et respect. ⁸Quant aux bouffonneries, aux paroles oiseuses et qui portent à rire, nous les bannissons pour jamais et en tout lieu, et nous ne permettons pas au disciple d'ouvrir la bouche pour de tels propos.



… pour chaque jour

C'est peu dire que le langage est malmené dans notre société. Les multiples moyens de communication qui sont désormais à notre portée font que nous parlons beaucoup, que nous parlons tout le temps, mais paradoxalement, cet incessant bavardage pollue les relations plus qu’il ne les sert. Nous communiquons pour nous vendre ou pour acheter l’autre, très peu pour le rencontrer.
 
« Voici que les hommes s'échangent maintenant les mots comme des idoles invisibles, ne s’en forgeant plus qu’une monnaie: nous finirons un jour muets à force de communiquer… » (Valère Novarina, Devant la parole, P.O.L., 2010, p. 13)
 
Si nous ne voulons pas finir muets, il nous faut entrer en insurrection contre cette instrumentalisation du langage porté par le système marchand de notre société. Nous pouvons réapprendre à nous taire et à écouter. Nous pouvons cultiver le silence, c'est même un incontournable, si nous ne voulons pas perdre pied et sens.

« C'est dans le silence que la question du sens se pose; 
c'est dans le même silence, qu’elle se résout. » 
(François Cassingena-Trévedy, Étincelles II, 2007, p.285.)
 
Il y a bientôt septante ans, Marcel Duchamp tenait à Denis de Rougemont le propos suivant: 
« Tout l'effort de l’avenir sera d’inventer, 
par réaction à ce qui se passe maintenant, 
le silence, la lenteur et la solitude. »
 
Force est de constater que nous balbutions toujours dans cet effort! Et pourtant, le silence est précieux, car il est la métaphore de l'intériorité chère à toute notre tradition philosophique et théologique occidentale telle qu'elle remonte à saint Augustin :
« Ne t’en va pas au-dehors, 
retourne en toi-même, 
la Vérité habite en l'être intérieur. » 
(De vera religione, 39,72)
 
Seuls les mots qui s'articulent sur une réserve de silence sont capables de faire de la lumière. Le silence permet de retrouver le chemin d'une parole qui soigne et qui console, d'une parole qui sauve le mystère et la dignité des êtres, d'une parole qui s'insurge contre de multiples manières d’étiqueter l'humain ou de l'enfermer dans un diagnostic médico-social. 
En matière de spiritualité et dans les églises, le silence devrait s'imposer en face de la langue de bois qui dissuade souvent d'écouter vraiment. Le philosophe Jean-Luc Marion rappelle avec humour que « Le silence sur Dieu est une forme de politesse ! » 
Faire silence permet de retrouver la fraîcheur de ce qui parle dans les textes, il nous fait rencontrer des « mots qui ne font pas leur âge » (Gilles Baudry, cité par Ringlet, Effacement de Dieu, p.112.)
 
Les poètes sont peut-être ceux qui nous parlent le mieux de Dieu, parce qu’ils savent se taire et écouter la vibration du mystère au fond des choses, sans la nommer "trop haut". Je pense ici au beau titre d’un petit livre de Jean Grosjean intitulé "Si peu". Il y parle de ce Dieu à la fois si peu là et si intime: 
« Ce que je reconnais de lui quand il parle, c'est son silence. Un silence pareil à celui des  textes: il me prend par l'épaule pour me faire remarquer qu'il s'en va, comme un texte à mesure qu'on lit, comme la vie à mesure qu'on vit. » (Si peu, Bayard, 2001, p.15-16.) 

(FRANCINE CARRILLO, Pour une spiritualité de l´insurrection, Coédition Ouverture-Olivétan-Opec, Son mot à dire…, 2014, p. 38-40.)

* Enluminure - Ms Abbaye de Maredret











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